Rencontre avec Dimitri Vazemsky

Publié par Pierre MACIA le

Je considère que Dimitri qui écrit a fait 50% du boulot et que les autres 50 % c’est le quartier de Wazemmes. Pour rendre hommage au quartier, j’ai donc décidé de m’appeler Vazemsky. A cette époque, je voulais changer de nom à chaque fois. Par exemple, si je faisais un truc sur Roubaix ça devenait Dimitri Roubeskov ou Toulouztaki si j’étais à Toulouse. Je considère que le lieu est très important, tout seul je ne sais pas ce que je ferais, je suis un agrégat de rencontres, de promenades. Je suis tout ce que je traverse, tout ce que je porte. En terme d’écriture, il y a des gens qui ne font que des autographes, des signatures en bas des chèques, des listes de courses… c’est la seule pratique d’écriture qu’ils ont toute leur vie. Et il y a des gens qui à un moment donné prennent un carnet et commencent à écrire autre chose, à faire des dessins… Ce que j’aime c’est quand il y a ces sorties. Quelqu’un décide que là ça ne suffit pas : j’ai envie d’écrire sur moi, d’écrire un roman, des poèmes, mes pensées…

Pourquoi avez-vous décidé d’être éditeur ?
Ça a commencé avec « Vol de flamands roses ». A l’époque je travaillais en librairie et le soir j’écrivais ce livre. Une copine qui avait fait des photos à partir du manuscrit avait été prise pour une exposition en Belgique. Il restait un mois pour sortir le bouquin. J’avais une piste avec un éditeur de Paris mais réagir en un mois pour un éditeur parisien c’est impossible. Il va planifier votre bouquin sur six mois, un an… parce qu’il lui faut le temps de préparer la maquette, de l’imprimer, de lancer le service de communication… Donc je l’ai édité moi-même. Et puis l’ayant fait une fois, j’y ai pris goût. Quand tu édites toi-même, tu peux choisir absolument tout : le format, la photo de couverture, le titre… L’auto-édition c’est une liberté totale! Par exemple, dans ce livre, il y a des passages un peu longs. Un éditeur m’aurait dit : « Coco, tu coupes là! Le lecteur s’ennuie! ». Ce qui m’intéresse c’est justement de travailler ces questions de genre, de titiller l’idéologie éditoriale. La plupart des éditeurs ont une idée du livre en tant que produit. Il faut que le produit soit 100% efficace. Alors que moi, j’aime bien les livres où par moment ça tire en longueur, où toi en tant que lecteur tu es pris dans le livre, et à un moment, tout doucement, le livre se recule, tu as ce mouvement de recul en tant que lecteur, tu te vois en train de lire. Tu viens de reprendre pied, dans ton propre monde…

Quelles sont les étapes de la publication d’un livre ?
Déjà il y a édition et édition… Il y a les vraies maisons d’édition avec toute une équipe et les petites maisons avec une ou deux personnes. Moi je suis quasiment tout seul, donc le choix se fait au coup de coeur perso. Je n’ai pas à discuter avec quelqu’un d’autre. Si le livre me plaît et que j’ai la force de le porter je le retiens. Des fois il y a un bouquin qui m’intéresse parce qu’il y a quelque chose auquel j’avais pensé et le fait que quelqu’un ait poussé l’idée un peu plus loin que moi, je décide de la poser, en un livre, dans le temps. Faire un bouquin c’est vraiment poser une trace dans le temps. Ensuite mon travail d’éditeur consiste à mettre en page, aller chez l’imprimeur, vérifier les sorties, la couleur, le diffuser dans les librairies…

Comment fonctionne la diffusion d’un livre ?
Il y a de gros éditeurs qui possèdent leur propre réseau de distribution, c’est à dire qu’ils possèdent les camions qui amènent les bouquins chez les libraires. Si les bouquins ne se vendent pas, les bouquins retournent dans des cartons qui sont ramenés par le camion de l’éditeur. Donc l’éditeur qui possède la distribution est payé deux fois, surtout sur un bouquin qui ne marche pas! A Nuit Myrtide, pour diffuser on a beaucoup de débrouille et de bricolage! Et, en tant que niche éditoriale, un laboratoire de textes et d’images, on privilégie la demande plutôt que l’offre. Au départ, on mettait des livres dans la voiture, et quand on allait dans le sud de la France, on s’arrêtait dans toutes les librairies en route et on laissait des bouquins. Un jour, un de mes auteurs, à Paris, faisait une lecture et n’avait plus de bouquins. Je fais un sac de bouquins. Je vais à la gare de Lille. Je me mets sur le quai et dès qu’il y a un type ou une fille avec une tête sympathique, je l’accoste et je lui dis : « On a un problème, on doit livrer des bouquins à Paris. Est-ce que tu peux prendre le sac? A Paris l’auteur en personne va t’accueillir sur le quai, te payer un café et t’offrir un livre… ». Les frais de poste sont gratuits, la livraison express par un type qui rencontre de manière improbable un auteur et qui finalement le soir, va à la lecture! C’est arrivé plusieurs fois.

Quels sont vos parti-pris en matière de mise en page ?
Sur la couverture, j’aime qu’il y ait le minimum, juste le nom de l’auteur, il n’y a même pas le logo de la maison d’édition, il n’y a pas de code barres parce que je considère que c’est moche. Il y a juste les infos techniques du bouquin avec l’ISBN (International Standard Book Number), le numéro du livre international. Il y aussi le dépôt légal, c’est à dire le jour où il est sorti. Et puis le prix unique. La loi Lang fait que chaque livre a un prix fixe. Il ne peut pas y avoir de concurrence entre un supermarché et un petit libraire.
Quels sont les formats que vous préférez ?
Au début le format carré 16 sur 16 est venu presque au hasard. Ça partait d’un jeu de mot . « Seize » centimètres. En anglais, to seize, ça veut dire saisir. Il y aussi ce livre, « Comment ça va la guerre? », je bossais sur la maquette, et le format c’est… 14-18!
Combien ça coûte de faire éditer un livre ?
Ça dépend de beaucoup de choses. Du nombre de pages, du format, du papier, si c’est en noir et blanc, en couleur, s’il faut payer un graphiste, un traducteur, une secrétaire, des correcteurs, des gens qui font la communication… Il y a vraiment beaucoup de critères qui entrent en jeu. Vous savez ce que c’est que l’offset et le numérique ? L’offset travaille avec de grosses machines et plusieurs films. Sur un film, il y a le dessin avec tous les endroits à imprimer en jaune, sur un autre film il y a les dessins avec les endroits à imprimer en cyan, idem pour le magenta et le noir. On imprime sur le papier d’abord tout le jaune, puis ça passe dans le bleu, ainsi de suite et tout doucement les couleurs se superposent pour faire une image en quatre couleurs. C’est très long à caler. Et donc en offset, souvent, pour rentabiliser ce temps de calage, il faut faire au moins 1000 exemplaires. Dans le cas du numérique, tout est fait sur une grosse imprimante. A Nuit Myrtide on fait souvent de petites salves à 250 exemplaires en numérique. Quand il y en a plus, on en refait 250. C’est un peu plus cher que l’offset mais au moins on n’a pas de stock, on n’a pas de problème d’argent. Parce que quand on fait 1000 ou 2000 exemplaires en offset, les bouquins il faut les écouler rapidement. Un livre comme celui que j’ai en main, en prix de revient imprimerie, ça doit valoir 3 euros. Ici quand on fait un bouquin on cherche d’abord à rembourser l’imprimerie, qui est le seul coût quasi. Le prix de vente public est à 10 euros. Si vous achetez un livre 10 euros, le libraire prend jusqu’à 40% dessus. Et l’auteur, généralement, de 5 à 10%. Ici on est dans une maison d’édition qui est sous une forme associative. Le but n’est pas de faire de l’argent. C’est une autre démarche…

Est-ce que vous éditez tous les genres ?
Mon but c’est de me frotter aux genres. Le premier livre était un roman policier. Après il y a eu un récit de voyage. Ici par exemple c’est une petite histoire illustrée… Là c’est de la poésie… Celui-là, c’est un conte philosophique que j’ai illustré avec des gravures du XIXème. En plus d’être éditeur, je suis donc, sur ce coup-là, ce qu’on appelle un iconographe… iconoclaste… iconophile! Ce qui me plaît, c’est de changer de genres à chaque fois. Ce qui m’intéresse aussi c’est les rapports entre texte et image. J’ai plusieurs casquettes, selon l’humeur avec laquelle je me lève le matin, selon la forme qui sera plus adaptée à la chose à dire, et c’est important de dire les choses, mais c’est important aussi comment on les dit… chaque forme à sa propre fonction… alors je les essaye: j’écris, je fais des dessins, je fais les maquettes, je fais des installations… Je suis plus un artiste qui travaille l’objet livre, qui voit comment l’objet livre peut être exploité. Plutôt qu’un vrai éditeur, disons que je ne suis qu’un simple livreur…

Catalogue de nuitmyrtide

Le site de Dimitri Vazemsky : www.vazemsky.com