Disparition de Jean Malaurie, l’âme du nord

Publié par Pierre MACIA le

Fondateur de la mythique collection «Terre humaine», figure majeure de l’anthropologie et de la géographie, l’ethnologue mort ce lundi 5 février à 101 ans, devenu Inuit dans l’âme, était un inlassable défricheur de l’Arctique
Voilà qu’une autre vie commence, avec «Terre humaine». De sa révolte pour sauver la civilisation inuite, il tire les Derniers Rois de Thulé, qu’il publie chez Plon en 1955. Au-dessus du titre, il a fait inscrire la mention «Terre humaine», la collection ethnologique mythique naît ; elle fêtera bientôt ses 70 ans. «Les vrais pères de la collection, ce sont les Esquimaux», disait-il au Point, pour le quarantième anniversaire. Son deuxième titre édité, Tristes Tropiques, sera signé d’un anthropologue alors inconnu, Claude Lévi-Strauss. Son célèbre incipit («Je hais les voyages et les explorateurs») sera aussi l’antienne de «Terre humaine». La collection se dédie aux regards personnalisés, à une littérature du réel, aux voix du peuple, croisant la géographie, l’ethnologie et l’histoire. Outre Margaret Mead ou Jacques Lacarrière, Jean Malaurie publie des récits d’inconnus, parfois illettrés : intouchable tamoul, curé cauchois, meunier occitan, paysanne hongroise ou conteur breton. Le Cheval d’orgueil du Bigouden Pierre-Jakez Hélias, vendu à un million et demi d’exemplaires, en sera un des best-sellers. «Terre humaine», c’est «une Comédie humaine écrite par cent Balzac» selon Malaurie, qui disait dans De la pierre à l’âme (Plon, 2023) s’être résolument opposé, dès son premier livre, «à cette idée perverse selon laquelle l’historien doit participer à la disparition de l’homme-acteur de l’Histoire».
Son souhait plusieurs fois exprimé, était d’être enterré au Groenland, de finir là où sa vie avait irrévocablement bifurqué, lui donnant à la fois une raison de s’engager et un sens intérieur. A quelques mois de ses 98 ans, il disait à Télérama en bon animiste : «J’aimerais juste que mes cendres soient dispersées au-dessus de Thulé, au Groenland. D’une façon ou d’une autre je continuerai à vivre, peut-être reviendrai-je sous la forme d’un papillon ?»

Source : Libération