Sur les traces de la Montagne Sociale, une conférence pleine de souvenirs, d’émotions et de combats encore d’actualité.

Publié par LMM le

En 1949, il y avait quatre ans à peine, la guerre mondiale venait de s’achever. La nuit de l’occupation militaire allemande prenait fin. La bête nazie était vaincue. Des millions d’êtres humains avaient péri dans cette tourmente. Une immense espérance, notamment dans la jeunesse, se levait sur le monde. Celle de la liberté retrouvée. La superbe histoire de l’Abérouat, de ce petit territoire de montagne pyrénéenne, en a été une remarquable et enthousiasmante expression. A partir de 1949 un discret refuge de montagne allait devenir une éclatante lumière. Le borner à une action sociale serait oublier la source que fut un combat philosophique et politique entre deux orientations, l’une révolutionnaire, générée par la victoire sur l’Allemagne nazie et ses soutiens dans le monde, l’autre modérée, soucieuse de rétablir des pouvoirs politiques classiques, en harmonie avec une économie libérée seulement de l’idéologie hitlérienne.

Dans les Basses-Pyrénées, notre département, cet antagonisme eut sa traduction au sein de la Fédération de l’Éducation Nationale (F.E.N) et de sa branche, Le Syndicat National des Instituteurs (le S.N.I), dirigés par des militants socialistes. Il prit de l’ampleur lorsque une élection départementale, par surprise, à la proportionnelle, mit en place une Commission des jeunes du S.N.I animée essentiellement par des militants communistes Maurice Cazanave-Nebout (ce formidable CAZA si bien secondé, dans ce combat par Fernande son épouse), Roger Bechtel puis André Cazetien, en furent, pendant 3 ans, les secrétaires.
Dans le même temps, Henri Barrio, instituteur à Sarance, en Vallée d’Aspe, avec son ami et collaborateur Jean Dutech, était détaché aux œuvres de Montagne, par l’Inspection Académique que dirigeait monsieur Mejean. Avec l’appui de cette commission des jeunes, active comme jamais, se développa dans tout le département, un mouvement de jeunes enseignants qui répondirent à l’appel pour la restauration de l’Abérouat. Des bals destinés à procurer de l’argent et à recruter des enseignants, garçons et des filles, furent même organisés à Pau, Oloron, Orthez, St Jean Pied de Port.
Et aux vacances de Pâques de 1949, ou il fit très beau, miracle, nous nous retrouvions à une centaine environ, de jeunes et moins jeunes, instituteurs et professeurs, pioche et pelle en mains, pour amorcer la construction d’une route carrossable, poursuivie ensuite par un bulldozer et capable d’amener en classes de neige et en classes vertes chères à Jean Dutech et à Joseph Dariere, les élèves des écoles publiques. Ces travailleurs aux mains blanches et vite calleuses ou saignantes, payaient aussi leurs repas pendant ces vacances extraordinaires. C’est à signaler.
Le grand patron de ce projet magnifique fut Henri Barrio. Qui était Henri Barrio et quel sens donnait-il à cette œuvre exceptionnelle ? Il est important de le redécouvrir.
Barrio c’était l’Homme qui avait sauté du train en marche qui l’amenait vers un camp de concentration nazi d’où on ne revenait presque jamais.
Barrio c’était, pendant cette guerre, le résistant qui passait gratuitement, dans la montagne, les patriotes français vers l’Espagne et l’Angleterre du général de Gaulle.
Barrio c’était le citoyen français,communiste, aux cotés de qui je manifestais, dans le cortège des rues de Pau, aux cris de  « dix ans ça suffit ».
Barrio c’était l’alpiniste de très haut niveau, réalisateur de premières aux aiguilles d’Ansabère.
Barrio c’était l’éducateur à la pensée humaniste qui rassemblait les prosélytes communistes et catholiques dans une petit monde sans frontières artificielles.
C’était l’Abérouat ouvert aux jeunes ouvriers de Pau comme à ceux de l’usine parisienne de Renault.
Barrio c’était l’Homme à qui les maires de la vallée d’Aspe, unanimement, ont rendu hommage, en lui offrant, après sa mort, une stèle magnifiant son combat social et culturel et à qui la municipalité de Lescun a donné son nom à une rue ouvrant sur le chemin de l’Abérouat.
Le chantier de l’Abérouat, en 1949, regroupait des hommes et des femmes d’opinions diverses, croyants et non croyants. Mais fondamentalement, de par la densité du militantisme représenté particulièrement par les Barrio, Aussat, Dutech, Caza, Bechtel, Cazetien, Gaston et Gilbert Ducos, Coy, Pardies, Fourcade, Cluchague, Babeth, Barry, Alice Chaubet, Marie Péré, Singher, Harcaut, Andia, Bacqué, La famille Dariere, Jo et Jeanette Cazou, Annie Arnaud, Georgette Cassou…. et j’en passe, le sens donné à cet événement ne s’harmonisait pas avec l’orientation politique désirée par les directions de la F.E.N et du S.NI et de l’Inspection Académique qui avait changé.
Nous étions à la fois des amoureux de la montagne et de la nature, mais aussi des combattants pour notre profession d’enseignants et pour l’avenir du pays.
Je veux en apporter les deux preuves suivantes :
Sur le fameux chantier de la route, en 1949, pendant les vacances de Pâques ou il fit très beau, l’Inspecteur d’Académie, monsieur Mejean, veste, cravate et chemise sur le bras, plein de sueur mais aussi de sourire et sans doute d’émotion, fut accueilli par les piqueurs et piocheurs que nous étions, par le chant révolutionnaire « La jeune garde » :
« Nous sommes la jeune garde,
Nous sommes les gars de l’avenir »
L’année suivante, à l’initiative de la Commission des jeunes que nous dirigions, nous étions dix garçons et filles, défricheurs de l’Abérouat, à participer à la rencontre Franco-Italienne de la jeunesse à Nice, organisée par le Mouvement de la Paix et présidée par Picasso. Nous avions défilé sous notre banderole, follement applaudie, et qui disait :
« Des écoles, des stades et pas de canons »
C’était cela le sens profond de notre engagement pour l’Abérouat autour d’Henri Barrio.

Cet été, à la nouvelle médiathèque de Laruns, j’ai emprunté un livre de Robert Ollivier ce grand alpiniste de nos montagnes. Ollivier y conte ses remarquables et passionnants exploits. Mais avec Barrio il y avait un supplément d’âme . Avec lui c’était la Montagne Sociale intimement liée au combat politique et social celui de la classe ouvrière principalement. Et c’était un espace largement ouvert à touts les composantes de notre société. Monsieur Menou, Inspecteur Général de l’Enseignement Technique était parmi les piqueurs. Le chantier de la route donna lieu à quelques épisodes qui ne furent pas tristes. En voici un :
Le jeudi 15 décembre 1949, quinze enseignants, treize hommes et deux femmes se retrouvaient à Lescun pour monter les portes et les fenêtres indispensables à la fermeture du refuge pour le stage prévu pour la Noël, quelques jours après. Chacun des quatorze derrière Barrio, portait sur sa tête une porte ou une fenêtre et le quinzième c’était Jean Pardies dit Blagasou qui portait un sac de ferrures pesant un âne mort. Il neigeait de plus en plus fort, Caza qui menait le groupe s’arrête, essoufflé  -« Il neige trop, il faut renoncer » dit-il. Coucou remet la porte sur sa tête, il repart en disant – « Qui m’aime me suit ! ». Le fantomatique cortège redémarre. Nous arrivons à l’Abérouat à demi-exténués, de la neige fraiche jusqu’aux genoux. La nuit tombe. Il n’est pas question de repartir. Il faut se reposer, dormir avant et manger un peu. Nous trouvons, au refuge, des boites de biscuits et du rhum. Devant un grand feu de cheminée nous revenons à la vie et nous chantons. Et tous au lit sur des bas-flancs. Le lendemain matin, à six heures, munis de lampes à acétylène, sous les sapins croulant sous la neige, nous rejoignons Lescun et la jeep de Coucou. Dans la plaine l’alerte est donnée : « Des instituteurs sont perdus en montagne » Ils ne sont pas à leurs poste le matin à neuf heures. A quatorze heures nous étions tous présents devant nos élèves.
C’était cela aussi l’aventure humaine de l’Abérouat.
Aujourd’hui le combat pour la beauté et l’intégrité de la montagne et de la nature continue.
L’axe auto-routier E7 à travers la vallée d’Aspe et son piémont envahit et dégrade cette beauté qui fit le bonheur et l’accomplissement des Russel, Schrader, Passet, Ollivier, Cazalet, Barrio, Aussat, Santé, les Raviers, les Cadier, Audoubert, Baudéan, de Bellefon, Etchelecou, et bien d’autres que je m’excuse de ne pas citer. Les camions des sociétés multinationales s’apparentent indépendamment de l’opinion de leurs chauffeurs,  à l’idéologie qui voulait dominer la pensée du monde au temps de la guerre de 39-45.

Je n’ai pas oublié que sans les précieux gardiens et animateurs du refuge, instituteurs détachés par l’Inspecteur académique, dont Fernand Lavigne, sans Huguette et Amélie les indispensables cuisinière, la cheminée de l’Abérouat n’aurait pas flambé gaîment.
Et que ferait Barrio s’il vivait aujourd’hui ?!
Cette question mérite d’être posée. J’ai très bien connu Coucou pendant ces premières années d’après guerre. Alors je pense, je dis qu’il serait présent dans le combat pour le train, pour l’Homme et pour l’Ours, pour nos Pyrénées, pour la vie de tout ce qui vit, pour la vie du Monde.

J’en termine en disant tout mon respect et mon admiration pour ceux qui ont poursuivi à Aragnouet, à l’image notament de Gilbert Ducos, l’action engagée à l’Abérouat. Ils ont été les pionniers d’un élan formidable qui fit se lever des enseignants et éducateurs de cette époque. Je veux dire encore que l’éloignement administratif de Barrio de son œuvre admirable a été un acte nuisible qui lui coûta peut être, prématurément, la vie.
Il y a cinq ans Gaston Ducos, Hélène Darrière et moi, nous sommes revenus, seuls, pour la première fois, depuis cette émouvante histoire, dans ce refuge de notre jeunesse. Et nous avons entonné quelques vieux chants béarnais, comme autrefois, avec Caza dans la vielle salle enfumée. C’était comme le soleil sur la montagne. La leçon que je tire de cette épopée, comme de ma vie, militante, qui a suivi, c’est qu’il n’y a pas d’avancée sociale conséquente s’il n’y a pas de combat politique conséquent lui aussi. Et que la force rassemblée, des amoureux de la Montagne, c’est bien une force de l’Avenir.

André CAZETIEN, le 08 novembre 2013 au Palais Beaumont lors de la conférence « Sur les traces de la Montagne sociale »

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