L’Alpinisme, un prétexte au voyage…un fil conducteur. Portrait de Rémi Thivel par Mapie Courtois, Alpirando 1999

Publié par Pierre MACIA le

Mapie Courtois – Comment les guides pyrénéens vivent-ils le fait que l’on parle toujours des Alpes ?
Rémi Thivel – A la fois bien et mal…D’un côté nous sommes plutôt heureux que les Pyrénées restent sauvages et tranquilles, de dimension « humaine. D’un autre côté, il est parfois frustrant de constater que la demande est surtout concentrée sur les Alpes simplement parce que les sommets sont prestigieux. Nous avons aussi de belles choses à proposer, à part qu(il n’y a pas besoin de courir au petit matin pour être les premiers…
Les guides pyrénéens, dans leurs grandes majorités,  ont su garder une pratique amateur importante : ça entretient la motivation, une certain solidarité  et de sérieux liens d’amitié. Je pense que nous devons cet état d’esprit en partie aux frères Ravier, des amateurs 100% qui ont presque tout ouvert ici entre 1950 et 1975. Ils sont une référence pour leurs réalisations mais aussi pour leurs manières d’aborder la montagne. Personnellement, j’ai  le sentiment que le  pyrénéisme est un « voyage à la cime » alors que l’alpinisme reste avant tout une performance.

Actuellement il y a-t-il d’autres alpinistes que tu admires ?
J’admire surtout la grande majorité des alpinistes amateurs qui bossent toute la semaine et  qui continue à parcourir la montagne chaque week-end, à garder le niveau malgré les contraintes professionnelles et familiales. D’une manière plus élitiste, les alpinistes de l’est m’impressionnent par leur détermination. Cette façon « jusqu’au-boutiste » d’envisager la montagne ne me convient guère car elle manque de poésie mais le résultat est là. Il y a un décalage notoire entre ces réalisations d’une efficacité redoutable et pas mal « d’exploits » surmédiatisées à la française où le héros n’est jamais très loin du portable ou de l’hélico. Je trouve dommage que le solo soit encensé comme il l’est dans nos revues spécialisées et grand public : d’une part parce qu’il y a un côté « pousse au crime », on a le sentiment que plus c’est dangereux mieux c’est, et d’autre part qu’il ne représente qu’une variante de l’alpinisme. Ce qui fait vraiment évoluer les choses, selon moi, ce sont les ouvertures de grande envergure, avec des copains, dans des coins largués d’où on ramènera une expérience humaine enrichissante.

Ce qui ne t’empêche pas de faire régulièrement du solo ?
Régulièrement, pas vraiment. Une fois par an tout au plus, généralement en hiver. Je crois que c’est un besoin nécessaire et spontané, à un moment précis de l’existence. Lorsqu’on a une idée derrière la tète, le jour arrive toujours où l’on sent que les conditions sont réunies. Il faut être patient, savoir attendre cette sorte d’état de grâce qui offre une totale adéquation avec les éléments. Ce fut particulièrement le cas pour le parcours de la Grande Cascade de Gavarnie : une expérience délicieuse sur un monde glaciaire démentiel, dans un style épuré. En sortant, j’étais submergé de bonheur comme jamais auparavant en montagne mais je me suis dis qu’il fallait arrêter ce genre de bêtise, ne pas mettre la barre plus haut. C’est là toute la difficulté, savoir se contenter d’une expérience idéale et refuser la fuite en avant. Le solo est une parenthèse occasionnelle toujours très riche mais c’est quand même encordé que l’on rigole le plus ! C’est important de partager…
Penses-tu que la conscience du risque évolue avec la pratique ?
C’est clair. Les petites expériences malheureuses qui finissent bien aide à prendre du plomb dans la tête. Le fait d’amener des gens dans un milieu à risque me permet d’être plus lucide en montagne. Cependant il n’est jamais  facile de trouver la limite d’acceptation du danger.

Comment vis-tu le métier de guide ?
Il me permet d’avoir la qualité de vie que j’ai toujours souhaitée. Je travaille une centaine de jours par an, vis modestement mais confortablement et consacre la plupart de mon temps à l’alpinisme amateur et au voyage. Mon métier m’apporte beaucoup sur le plan humain. Faire le guide me motive tant que j’arrive à visiter de nouveaux massifs et à parcourir de nouvelles voies : c’est un bon moyen pour moi de découvrir entre autres la chaine alpine. Dans les Pyrénées je commence à avoir quelques clients qui sont devenus des amis et avec qui je partage une certaine vision de la montagne. C’est le coté le plus agréable de la profession, voir les gens progresser, les former à l’autonomie et réaliser ensemble de beaux projets qui nous tiennent à cœur. 

Que penses-tu de la multiactivité ?
Plutôt du bien car ça permet à chacun d’envisager le métier comme il en a envie. Faire du canyon et du rocher école a un coté reposant, on est chez soi le soir et on peut consacrer un peu de temps à la vie de famille. Personnellement, je travaille 95% du temps en montagne parce c’est ce qui me plait, mais je ne suis pas choqué que l’on consacre son activité au canyon. la multi activité me parait être un atout pour la profession.

Qu’est-ce qui t’inquiète dans l’évolution actuelle ?
Il y a un phénomène qui me dérange souvent : d’un coté, les revues et nous-mêmes les guides faisant tout pour que les gens viennent à la montagne en véhiculant une image plutôt « fun » d’une activité facile et accessible à tous. A l’inverse dès qu’il y a un pépin, nous crions tous à l’imprudence et à la sur fréquentation : c’est un peu contradictoire. Je pense qu’il ne faut pas perdre de vue que l’alpinisme reste une activité dangereuse qui ne s’apprend pas en une semaine. L’échec fait partie des règles du jeu, même avec un guide et on a parfois un peu tendance à l’oublier. De plus, la notion de risques partagés est de moins en moins acceptée.

Cela remet-il en question le métier ?
Nous sommes un peu pressurisé par les questions de responsabilité, on pense souvent au juge lorsque nous amenons des gens en montagne. Le problème, c’est que l’on voudrait en faire un sport comme les autres avec des règles bien établies ; on n’accepte de moins en moins que l’on ne puisse pas tout maitriser là-haut. Un guide n’empêche ni les pierres de tomber, ni les ponts de neige de céder. Il met tous les atouts matériels de côté, choisit le meilleur itinéraire et tente de prendre la bonne décision au bon moment mais il ne peut garantir 100¨du succès. J’ai peur que l’on glisse peu à peu d’une obligation de moyen à une obligation de résultats…
Le métier lui-même, comment évolue-t-il ?
Il se diversifie. L’époque du client fortuné qui engage un guide au prix fort pour réaliser des courses est révolue, en tout cas dans les Pyrénées. Nous travaillons plus souvent avec les collectivités (clubs, fédérations, stages en agence) au sein duquel notre rôle est d’enseigner, de former des gens à l’autonomie. Cet élargissement de l’activité est positif car il est plus facile pour des jeunes diplômés  de trouver du travail, du moins l’été.

Pourtant, ouvrir trop la montagne, on a vu ce que ça donnait avec la tragédie à l’Everest…
A priori, je ne suis pas d’accord avec ces expéditions commerciales, sur des 8000. J’ai le sentiment que les risques y sont trop importants et les chances de réussites forts minces. Il y a une certaine malhonnêteté de notre part à vouloir banaliser ces sommets et il ne faut pas se plaindre lorsqu’il y a un pépin.

Vous répondez à une demande …
Oui, mais cette demande, c’est nous qui l’avons créée au départ et on encaisse actuellement les retours de bâton. Il y a une certaine hypocrisie sur les plaquettes par rapport aux chances de succès et les budgets sont tels que l’on comprend qu’un client souhaite une obligation de résultat sur ces sommets. Cela me parait nuisible à la profession. De plus, j’ai le sentiment que sur le terrain, les vrais guides sont les sherpas et pas nous ; les écarts de salaire sont très choquants…vaste débat !

A titre personnel, envisages-tu de faire l’Everest ou d’autres 8000 ?
Il est clair que l’expérience de la haute altitude est très intéressante. Au Pasang Lhamu (7352m), j’ai trouve ce monde très ingrat, laborieux et inconfortable mais il y a un aspect grisant à fréquenter  « l’oxygène rare ». Ce qui me dérange sur les 8000, c’est la foule que l’on rencontre. On est au bout du monde mais l’ambiance est occidentale ! Je trouve que dans l’ensemble les 8000 ne sont pas des montagnes très esthétiques, à part le K2 qui me fascine vraiment, il semble tellement élancé et difficile…Un 8000, peut être, un jour pour la culture générale…Je suis persuadé que l’aventure est ailleurs, souvent pas très loin de la maison ! 

Qu’est-ce que tu cherches en montagne ?
J’aimerais bien le savoir mais j’ai pas encore trouvé puisque je continue à en faire ! C’est simplement beau et enivrant. Elle est parfois une sorte d’exutoire quand l’existence devient trop routinière. L’alpinisme est un prétexte au voyage, à la découverte des autres et de soi…un fil conducteur.

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