Le grand raid de la Réunion : une folle diagonale par Olivier Bessy et Michel Pousse
Une course extraordinaire pour des coureurs ordinaires !
Olivier Bessy et Michel Pousse, Éditions Orphie
Voilà plus de trente ans que quelques passionnés imaginèrent une épreuve d’endurance à nulle autre pareille. Cette diagonale qui traverserait l’île de La Réunion serait la plus dure au monde, la plus spectaculaire, la plus fantastique, tout en restant accessible à tous. Au cours des années, le Grand Raid, et plus particulièrement son épreuve reine, baptisée aujourd’hui Diagonale des Fous, s’est imposée comme la référence absolue pour tout traileur, fût-il champion ou amateur. Du battant des lames au sommet des montagnes, ils sont 2500 à s’élancer pour traverser l’île de sa pointe sud vers la capitale Saint-Denis. 165 km et 10000 m de dénivelé à travers forêts, rivières, canyons, cirques et pitons, sur des sentiers de l’impossible, dans la plus époustouflante des scènes sportives. Un véritable hymne à la vie, à l’effort et à la joie !
Plus qu’une simple description d’un évènement sportif et des acteurs qui l’ont fait grandir, cet ouvrage est un révélateur des valeurs dominantes d’une époque et un analyseur des enjeux d’un territoire. Il cherche à éclairer les raisons d’un succès qui ne se dément pas aujourd’hui en proposant cinq regards. Il vise, tout d’abord, à comprendre, comment l’épreuve a évolué au niveau de l’offre proposée et de la demande à travers l’analyse des profils sociologiques des participants, le décodage de leurs modes d’engagements et des imaginaires mobilisés dans l’épreuve. Il s’intéresse ensuite aux enjeux que cet évènement représente pour l’île de La Réunion. Il ausculte aussi les coulisses de l’association organisatrice soumise aux vicissitudes du temps, à des jeux de pouvoir et des conflits d’intérêts. Il s’interroge également sur l’avenir du Grand Raid en lien avec le contexte local et le marché international du trail. Il intègre, enfin, une analyse comparative avec l’UTMB afin de mieux comprendre les trajectoires et les positionnements différents de ces deux évènements.
Véritable épopée, la Diagonale des Fous s’inscrit dans notre époque hypermoderne car la grande majorité des coureurs viennent à La Réunion pour vivre une expérience extrême dans « l’île intense ». Ils souhaitent s’explorer, se transcender, se défier afin d’accomplir leur rêve. Ils cherchent à repousser en permanence leurs limites et à conquérir un ailleurs tropical pour le moins incertain, en priorisant la construction d’une identité performative. C’est l’impératif du toujours plus long, toujours plus haut, toujours plus vite, toujours plus loin, toujours plus sensationnel qui s’impose. Car dans l’imaginaire des traileurs, la Diagonales des Fous est une course unique, hors normes, au cœur de laquelle un parfum d’aventure persiste toujours. Participer à la « Diag » c’est vivre un voyage synonyme d’expérience inoubliable où chacun entre en communion avec lui-même, avec les autres mais aussi avec toute l’île, avec sa nature et sa population. La finir reste l’objectif cardinal de tous les postulants car cette victoire permet d’écrire une page de son histoire personnelle, de ré-enchanter son existence et de se transfigurer de coureur ordinaire en héros. Tout finisher en sort grandi aux yeux des autres, en arborant le teeshirt « j’ai survécu », preuve de son exploit et véritable marqueur sportif et social.
Peu de choses donnent autant le sentiment du devoir accompli, que de terminer un ultra-trail et notamment la Diagonale tellement cette épreuve est saturée par l’imaginaire de l’extrême. Mais ce besoin de se dépasser, cette obligation à se sublimer, cette injonction à faire constamment la preuve de son existence, n’installent-t-ils pas l’individu dans une sorte de fiction hypermoderne ? Tandis que l’homme moderne était un principe, l’homme hypermoderne serait une fiction imposée aux individus à force de slogans et d’images. Car devoir faire constamment la preuve de sa propre existence est à la fois le moteur et la fragilité de l’individu hypermoderne fasciné par la version contemporaine du mythe de Sisyphe.
Élément incontournable du patrimoine de l’île, l’événement Grand Raid représente des enjeux considérables pour La Réunion car il est devenu une véritable ressource territoriale qui dynamise l’économie touristique locale, joue un rôle socio-culturel de première importance dans une île métissée et bouillonnante, contribue à un rééquilibrage territorial entre les « Hauts et les « Bas » de l’île et questionne la problématique environnementale fondamentale pour le devenir de La Réunion. Il s’agit d’un outil politique majeur car cet évènement est devenu emblématique d’une île, un condensé de Réunion auquel toute la population s’identifie, un reflet de son âme, de sa nature et de sa culture en perpétuel mouvement entre une dynamique centrifuge d’assimilation des valeurs occidentales et une force centripète de singularisation identitaire locale.
Référence mondiale, la Diagonale des Fous reste aujourd’hui fidèle à son esprit originel de partage d’expériences. Dans cet esprit, elle a su éviter les écueils de l’élitisme et de la marchandisation qui dominent trop souvent dans le sport moderne en gardant son humanité, sa simplicité et sa solidarité, valeurs constitutives de son ADN. Chaque année, c’est tout un peloton pour le moins bigarré qui s’élance à l’assaut des remparts réunionnais, c’est toute une équipe de bénévoles qui fait preuve d’une bienveillance chaleureuse, c’est toute une île qui vibre à l’unisson de sa diagonale. Si la DDF est aujourd’hui au firmament de l’ultra-trail mondial, c’est qu’elle symbolise un événement résistant vis-à-vis des dérives financières et égocentriques de notre monde. Mais elle reste, malgré tout, « un colosse aux pieds d’argile », car elle est menacée par des turbulences internes, suspendue aux contraintes du transport aérien et fragilisée par un contexte international en proie à de nombreuses crises.
Alors quel avenir pour le Grand Raid et pour sa folle diagonale confrontée aujourd’hui à trois défis majeurs : un défi managérial, un défi sociétal et un défi environnemental ?
Ce livre ne part pas de rien, il s’inscrit dans la continuité des deux ouvrages déjà publiés par Olivier Bessy en 2002 (« Le Grand Raid de La Réunion : A chacun son extrême et un emblème pour tous » ) et celui de Michel Pousse en 2012 (Le Grand Raid de La Réunion. 20 ans de passion, 1993-2012). Croisant approche scientifique, analyse de contenus de la presse locale et spécialisée et retours d’expériences de coureurs, il s’adresse à un large public désireux de comprendre pourquoi la Diagonale des Fous participe de nos mythologies modernes et incarne à elle toute seule La Réunion. Il invite les passionnés du genre à relire le passé pour inventer l’avenir. Chacun pourra s’y retrouver, s’y projeter ou tenter de donner du sens à son engagement.
Olivier Bessy est sociologue du sport et du tourisme, spécialisé dans le domaine de la course à pied. Il est professeur émérite à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour. Il est chercheur au laboratoire TRransition Environnementale et Energétique (TREE) où il mène des travaux sur la transition et l’innovation appliquée aux pratiques, aux aménagements et aux évènements dans les domaines sportifs et touristiques. Il conseille de nombreuses collectivités locales en matière de développement responsable de leurs territoires et accompagne des organisateurs d’évènements dans la voie de l’éco-responsabilité. Il a écrit plusieurs ouvrages sur le sport et le tourisme dont trois sur des évènements (Le Marathon du Médoc en 1994, le Grand Raid en 2002 et l’UTMB en 2012). Il termine actuellement une histoire de la course à pied en miroir de l’évolution de la societé intitulée « Courir de 1968 à nos jours » en deux tomes. Le tome 1 « Courir sans entrave »s est sorti en février 2022, le tome 2 « Courir sans limites : Marathons, 100 km et trails » est prévu pour début 2024. Il a survécu à l’édition 2000 de la Diagonale des Fous et terminé de nombreux ultra-trails dans le monde entier.