Il y a 11 ans disparaissait Patrick Edlinger

Publié par Pierre MACIA le

Voilà un texte paru pour Climbing Attitude,

il n’a pas vieilli.

Les contraintes de la liberté…
…By Patrick Edlinger
Il ne faudrait surtout pas compter sur moi pour édicter
une quelconque table de loi en ce qui concerne
l’escalade.
Pour moi, la chose est claire, elle l’est depuis toujours :
il est interdit d’interdire et, l’escalade, c’est d’abord le
terrain de la liberté.
C’est échapper aux contraintes, c’est rencontrer son
désir, exprimer sa force, sa souplesse, son intuition, c’est
justement l’envers d’un monde régi par des lignes
blanches, des garde-fous et le catalogue des interdits.
Et pourtant l’escalade, c’est aussi une technique, c’est de l’entraînement, une
discipline et beaucoup de respect et de responsabilité. Seulement voilà quand
on dit ça, il est aujourd’hui impossible d’en rester là.
L’escalade est en quelque sorte victime de son succès.
Victime parce que cet art de vivre est devenu très normalement, un sport, un
loisir et que sur certaines falaises la fréquentation trop forte peut engendrer des
problèmes.
On les connaît tous : véhicules garés n’importe où, terrains piétinés, poubelles
sauvages, et Cie…
J’ai appris à respecter la nature de façon intuitive, avec mes parents. On ne se
posait guère de questions quant au respect qu’il convenait de manifester à son
égard.
C’était normal. C’est plus compliqué aujourd’hui parce que souvent, on va
passer directement des salles d’escalade aux falaises, sans bien identifier que
l’on passe d’un monde à un autre.
Il faut redire des évidences : les falaises n’appartiennent pas qu’aux grimpeurs,
on rencontre à leurs pieds des randonneurs, des chasseurs parfois, des cueilleurs
de champignons…
Et puis les falaises appartiennent souvent à des privés et les terrains sur lesquels
on se gare pour y accéder sont aussi souvent des propriétés privées. Il existe un
véritable risque que les sites soient interdits, deviennent payants ou se
poubellisent.
Ce risque, nous pouvons facilement l’écarter. Et ce n’est pas un arsenal de lois,
de panneaux d’interdictions, ce n’est pas des « il faut, il ne faut pas », non, c’est
juste du bon sens, du savoir-vivre, du savoir-être.
C’est en fait très simple, c’est exactement comme quand on grimpe en cordée,
on respecte les techniques de sécurité parce qu’il y va de la vie de son pote et
de sa propre vie. Tout ce qui de l’extérieur peut apparaître comme une
contrainte est en fait la condition de la liberté.
Aujourd’hui, face aux enjeux de l’environnement, les grimpeurs ne peuvent
plus se contenter de paroles et de vœux pieux.
Il faut un engagement de tous et tout le temps pour sauvegarder nos sites, être
clean avec la nature, respecter ceux qui comme nous l’apprécient pour
différentes raisons.
L’escalade en milieu naturel n’a jamais été pour moi une succession de prises,
une énumération de cotation.
L’escalade c’est aussi la couleur du rocher, le bruit d’une rivière, des nuages,
l’odeur des buis, le toucher de la pierre, c’est le sentier qui mène à la falaise,
c’est les gens qu’on rencontre. Il faut se donner les moyens pour que l’escalade
conserve sa liberté. Ces moyens, loin d’être des contraintes, sont une vraie
chance pour nous. La chance de grimper dans des lieux harmonieux, la chance
d’être considéré comme quelqu’un de responsable, la chance d’être fier de soi.
La Climbing Attitude c’est juste (et c’est déjà beaucoup) un mode d’emploi
comme il en existe pour utiliser un descendeur. Rien de difficile, rien de
contraignant, rien que le plaisir d’accomplir des gestes justes.
C’est ce que j’ai voulu raconter depuis toujours, depuis « La vie au bout des
doigts », et c’est, j’en suis certain, ce que nous apprécions tous : la chance de
disposer du plus beau terrain de jeu : la Nature