POURQUOI LA COURSE A PIED EST-ELLE AUTANT PRISÉE EN TEMPS DE CONFINEMENT ?

Publié par Damien Maurice le

Chaque soir, je cours dans mon quartier à Pau et je vois au fil du temps un peu plus de monde en habit de joggeur. Entre les habitués, ceux qui s’y remettent et ceux qui décident de profiter de l’occasion pour se lancer, cela fait beaucoup de monde dans les rues. L’observation des tenues de pratique pas toutes très orthodoxes, le vérifie bien. Le confinement est le meilleur ami de la course à pied. Ce sentiment est partagé par de nombreuses personnes avec qui j’échange, à distance raisonnable, bien entendu !

Comment expliquer ce phénomène ?

La première raison, la plus basique, est de se dépenser, de prendre l’air, de se ressourcer afin d’en retirer un certain nombre de bienfaits physiques et psychologiques pour sa santé. Apparence oblige, le souci de ne pas prendre trop de poids, de faire attention à sa silhouette, est aussi présent. Il ne faut pas oublier également l’effet de compensation vis à vis de la disparition des déplacements à pied, ou à vélo pour aller au travail. Dans tous les cas, la « sportivisation » de son quotidien vise à conserver une prise sur soi et à contrecarrer les effets négatifs d’une sédentarité augmentée par le confinement. Enfin, les nouvelles contraintes professionnelles qui génèrent une surexposition numérique liée au télétravail font partie des raisons explicatives e ce phénomène.

La seconde raison fait référence à l’obligation de mobilité que l’on s’assigne contre une contrainte d’immobilité que l’on nous impose. Le confinement crée un nouveau rapport à l’espace proximal que l’on cherche à se réapproprier par la pratique de la course à pied. Ce besoin s’exprime aussi dans le détournement d’espaces non prévus à cet effet tels que la rue devant chez soi ou les escaliers du quartier qui deviennent des lieux d’exercice et de fractionné. Plus symboliquement, certains coureurs vont même jusqu’à se créer volontairement de la contrainte spatiale en relevant des défis inimaginables jusque-là, tels que courir un marathon sur son balcon ou un ultra-trail dans son jardin. Ce désir de mobilité dans un espace restreint (1km autour de chez soi et hors des parcs) peut parfois prendre la forme de transgressions minimes en jouant, à la marge dans les interstices de l’urbanité, avec les limites autorisées. Le désir refoulé de retrouver un peu de liberté s’en trouve ainsi assouvi.

La troisième raison réside dans le nouveau rapport au temps que provoque le confinement. L’obligation de se construire un nouvel emploi du temps, d’installer une forme de routine quotidienne afin de structurer ces journées inhabituelles à partir d’occupations différenciées, et de se préserver ainsi de l’ennui. Mais c’est certainement aussi l’envie de reprendre du pouvoir sur son temps, de se sentir un peu plus maître d’un temps devenu étrange et irréel qui fait enfiler le short et les baskets.

La quatrième raison peut être débusquée dans la nécessité absolue de conserver du lien social pour lutter contre l’isolement a fortiori pour les personnes seules. Courir un peu chaque jour permet de voir du monde, de se faire un sourire ou un petit geste en se croisant, voire de se parler tout en restant à distance. On n’hésite pas d’ailleurs à s’arrêter pour échanger comme si la convivialité était au fond plus importante que le nombre de kilomètres parcourus. Cette sociabilité à distance est favorisée par le rétrécissement du périmètre d’exercice qui densifie les flux et facilite les rencontres. C’est aussi parfois un moment de convivialité familiale afin de sortir les enfants et de partager une activité avec eux.

La cinquième raison trouve son fondement dans la recherche d’une échappatoire face à la peur médiatisée de la maladie mais aussi face à l’angoisse d’un dehors étrangement calme. Manière symbolique d’exorciser la mort qui rode en se prouvant chaque jour qu’on est vivant. Manière de rompre un silence anxiogène de nos villes confinées en écoutant le propre bruit de son corps en mouvement. Manière de montrer que la vie continue dans un monde à l’arrêt.

L’histoire se reproduit car McDougall montre dans son ouvrage « Born to Run » que c’est durant les grandes crises que les personnes courent le plus. Comme si chacun en courant se sentait davantage maître de son destin.

Le 9 avril 2020

Olivier Bessy

Professeur
Directeur Master Tourisme
Chercheur au laboratoire Passages UMR/CNRS/5319
Administrateur de La Maison de le Montagne

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