Abécédaire de l’Escalade par Marco Troussier
C’est Marco qui nous fit découvrir un anglais un peu palot venu de Leicester et qui enquillait des 7c à vue avec un grand appétit.
Décrit comme maladroit mais teigneux ce gars s’appelait Jerry Moffat (1990, Veni vidi vici, Vertical).
Son nom sentait les pubs et la bière, la rigolade et le fighting spirit. Comme on avait tous un jour porté des baudriers Whillans, on découvrait en même temps que les anglais n’avaient pas seulement cramé Jeanne d’Arc mais qu’ils avaient inventé en plus l’escalade et qu’ils la pratiquaient avec une idée de l’engagement inconnue sur le continent…
Moffat écumait l’Europe pendant que les français regardaient, médusés. Il a révolutionné l’escalade très dure à vue, le voyage perpétuel, le vagabondage sur les falaises chaudes du monde et Marco nous racontait tout cela avec talent.
Quelques années auparavant, les deux frangins Troussier étaient venus à Riglos sur les conseils de Bunny. Ils avaient gravi Mosquitos, la Rabada et Carnavalada et avaient ramené un beau récit pour Alpirando (1981, Les dingues du poudingue, n° 35).
Forts grimpeurs, ils avaient prévu l’ascension prochaine de la raya blanca de la Carnavalada en libre à condition de revoir l’équipement. Serge Castéran (1984) emportait le morceau en grimpant le 7b (7a+ actuellement) 2 mètres à droite de la ligne de spits. (http://a0avista.blogspot.fr)
Toute cette longue introduction pour dire que Marco Troussier était un visionnaire, du moins un gars qui avait tricoté avec plein d’autres les années naissantes du libre en France. Un gars qui tient bien son cap, un type à respecter parce qu’il maintient depuis longtemps la même ligne de conduite.
Marco participa à l’organisation des deux premières compétitions de France à Troubat. Pour pardonner à Alfred de Vigny de n’avoir laissé aux Pyrénées que le cor, Antoine Le Menestel nous abandonna à cette occasion, « Leaning the world behind » et « Silence vertical « (8a et 8b+), deux lignes dans la pierre qui existeront encore dans cent ans.
Tout cela pour dire que Marco, intellectuel et penseur de l’escalade, savait aussi écrire, savait partager et nous donner parfois à réfléchir.
Marco est devenu DTN à la fédération française de l’escalade et poursuit son travail de recherche en nous livrant un petit opuscule dédié à l’escalade.
Son « Abécédaire de l’escalade » est une bonne idée tant notre activité verticale soumet nos rêves et nos espoirs sportifs à la comparaison de sa courte histoire et au miroir de sa jeune culture. Marco s’y file vaillamment pendant deux cent pages et livre un peu, parfois trop peu le fond de sa pensée. Son passé lui permet d’embrasser l’histoire des 30 dernières années de l’escalade en France et c’est éminemment respectable.
Dans un genre différent mais aussi extrêmement acéré, Patrick Dupouey, philosophe, grimpeur et pyrénéiste avait déjà mis la barre très haute avec Pourquoi grimper sur les montagnes ? (Éditions Guérin).
Marco écrit bien c’est un fait, le propos est riche et intéressant mais pourquoi diable un livre si triste à la mise en page si frustre ? Pas un grigri ni une image. Pas de joie, pas de vie. Tout semble retenu si bien que ça manque gravement de chaleur. On dirait un word imprimé sur l’imprimante familiale et assemblé à la cuisine.
Comment pousser les gens à fréquenter les librairies si les livres ressemblent à des pdf ? Marco l’intello de la bande nous livre un truc tout triste, tout pauvre comme s’il n’aimait pas son texte et ne respectait plus le livre. Je ne savais pas qu’il en était des livres comme des amours platoniques et on a envie de demander : alors qu’est-ce qui ne va plus Marco avec l’escalade ?
Néanmoins, nous avons actuellement si peu de choses intelligentes à nous mettre sous la dent qu’il faut bien convenir que le gars Troussier nous fait passer pour 13€ un moment agréable.
Pour découvrir l’esprit et le propos voici un petit extrait. Il parle du sujet tabou par excellence, celui qui nous divise mais qui unit forcément un jour ou l’autre le grimpeur au caillou… il va vous parler du SPIT.
Spit
Rarement un acronyme aura traversé les décennies avec autant de facilité.
SPIT – société de prospection et d’invention technique, le vocable sonne comme une promesse à l’oreille du grimpeur avide de laisser sa marque sur une falaise ou un bout de rocher. Initialement les produits de cette société drômoise étaient destinés au monde du travail et de la fixation dans le bâtiment. Leur usage fut d’abord détourné par des spéléologues qui utilisèrent les chevilles auto-foreuses pour des amarrages de relais ou de progression.
Bien que la surface terrestre sépare leurs terrains de jeu, la proximité entre spéléologues et grimpeurs est évidente. En quittant les fissures et autres dièdres, ces derniers furent confrontés à la nécessité de se protéger en l’absence de reliefs adéquats, à s’intéresser eux aussi au spit. On raconte à Marseille que c’est la nouvelle génération de grimpeurs à bandeau qui furent les promoteurs de ce détournement. On veut bien le croire car l’esprit inventif des pionniers du libre ne connut pas de frontières, surtout que le calcaire gris de la Provence obligeait à trouver des solutions nouvelles pour s’élever sur les dalles improbables des Calanques et de Sainte-Victoire.
Les frissons que procurent l’imminence d’une chute quand on frappe une cheville fixée au bout d’un tamponnoir, en équilibre sur des grattons, les mollets en feu et la bouche sèche sont impossibles à décrire, mais pour certains cela fait partie d’un jeu qui fut pratiqué à la fin des années soixante-dix.
Cette époque, charnière à plus d’un titre et qui vit l’apparition du libre en France, fut aussi celle des discussions enflammées entre les tenants du moins possible de spits et d’autres pas moins téméraires mais surtout plus désireux de laisser des équipements à demeure et de bonne qualité. Dans le sud toujours, une compétition amicale vit plusieurs équipes de grimpeurs attaquer les flancs de Sainte-Victoire, notamment sa partie la plus lisse. Puis ces grimpeurs exportèrent leur savoir-faire sur les grands piliers du Verdon à une époque où on les abordait depuis le bas, évidemment !
Le crochet à goutte d’eau permettait alors de se suspendre le temps de poser un spit. Il faut noter que cette admirable invention que fut la cheville auto-foreuse ne laissa que peu de terrain vierge et quand on prit la mauvaise habitude d’équiper depuis le haut, aucun pilier ne put résister aux assauts des équipeurs.
Une controverse est restée célèbre sur les flancs du Canyon, deux équipes lorgnaient le même pilier d’un gris immaculé, à peine strié de quelques nervures grimpables. L’une partit du bas tandis que l’autre, ne résistant pas à équiper du haut une partie de la voie, commit le sacrilège. Des deux voies, laquelle fut plébiscitée et reconnue comme un chef d’œuvre ? je vous le donne en mille… celle qui proposait un itinéraire somptueux et surtout bien équipé, doté d’une sortie aérienne. Elle entra dans la légende du Verdon sous le nom de Dingomaniaque et fit même la couverture du numéro 7 de Vertical, jeune revue des années quatre-vingts. L’autre voie, au nom sans équivoque de Spitophage pervers, est depuis tombée dans l’oubli. La querelle avait été homérique. Un esprit frondeur de l’équipe de puristes s’était d’ailleurs saisi d’un pinceau pour dessiner un perroquet et bien montrer que cette escalade qui ne suivait que des points brillants à demeure n’étaient guère mieux qu’une échelle pour volatile.
Puis avec l’apparition des perforateurs à accus ces querelles s’éteignirent. La beauté des itinéraires tracés à partir de ce moment plus haut et l’évolution des mentalités firent le reste. Le goujon remplaça la cheville auto-foreuse mais on continua de dire spiter, tant le verbe était usité quand on voulait signifier que la voie était équipée. Le terme spit est depuis resté dans le vocabulaire des grimpeurs. A l’instar du frigidaire, il est passé du statut de marque à celui de nom commun. Marco TroussierAbécédaire de l’Escalade de Marco Troussier – Ibex Books – 200 pages – 13€
Dingomaniaque sur camptocamp : http://www.camptocamp.org