La décroissance pour repenser le tourisme de montagne par Philippe Bourdeau…
» L’univers du tourisme de montagne fait face à de nombreuses incertitudes et facteurs de crise dont le changement climatique constitue un révélateur, et souvent un accélérateur : concurrence d’autres destinations touristiques, fracture croissante entre grandes et petites stations, nouveaux comportements récréatifs, vieillissement de la population touristique, exigences accrues de qualité environnementale, question sociale du travail saisonnier, gestion des risques.
Pour de nombreux observateurs, le système touristique hérité de la seconde moitié du XXème siècle est un modèle « épuisé » qu’il est urgent de repenser tant les solutions du passé (l’automobile, l’immobilier, l’enneigement artificiel) sont aujourd’hui devenues des problèmes.
Face à ces critiques et ces doutes, le consensus sur les orientations du tourisme de montagne fait long feu. Au cœur même du monde de la montagne, de multiples faits ou indices traduisent ce trouble, du renouveau des conflits environnementaux à la multiplication des mouvements sociaux qui s’installent dans le paysage alpin.
En passant du bricolage localisé à l’industrie globalisée, et de l’ingéniosité à l’ingénierie, le tourisme n’a-t-il pas perdu une bonne partie de sa capacité à se renouveler et à faire face aux incertitudes du futur ? Après avoir été un vecteur de développement, le tourisme n’est-il pas devenu une monoactivité qui fragilise les territoires qui en dépendent ? Mais comment penser d’autres modèles plus souples, diversifiés, créatifs et soutenables face au « triple crunch » des crises climatique, énergétique et économique ? Et comment assurer la transition vers l’avenir d’un héritage chaque jour plus encombrant ? Personne n’a de recette toute faite dans son sac à dos….
Mais pourquoi ne pas regarder comment, ici et là dans les Alpes, des gens ordinaires réinventent malgré les obstacles de nouveaux mode de vie et de loisirs ? A l’heure de la généralisation des snow-parks et autres bike-parks livrés clés en main, le bricolage entre potes de modules de free-style éphémères à l’écart des lieux aménagés est incontournable pour comprendre ce qui anime les jeunes pratiquants. On peut aussi observer ces élus qui décident de ne plus saler les routes de leur station-village pour préserver la nappe phréatique et retrouver une ambiance de montagne ; de cette chorégraphe et de cet accompagnateur en montagne qui développent ensemble un projet d’accueil, de formation et d’animation dans un lieu improbable ; de ces guides, pisteurs ou hébergeurs qui s’accordent de longues périodes pour s’engager dans des voyages existentiels ou s’investir dans l’action humanitaire ; sans oublier ces nouveaux habitants qui viennent vivre à l’année dans ce qui était auparavant leur lieu de vacances…
En allant sur le terrain à leur rencontre, on leur trouve souvent de fréquents points communs : une autolimitation de revenus motivée par la recherche d’un art de vivre ; une tendance à défaire les catégories en hybridant le sport, le patrimoine, l’art, la littérature, l’agriculture, l’artisanat, l’accueil, l’éducation et le développement personnel ; une priorité accordée à la qualité des relations humaines et à l’environnement ; la conjugaison d’un fort ancrage local avec l’inscription dans des réseaux extérieurs… Pour les trouver, il faut frayer dans les petits lieux, les périphéries et les interstices des espaces touristiques, là où la force des contraintes et l’affaiblissement du conformisme (même quand il se proclame innovant) stimule la capacité à expérimenter des solutions de rechange pour sortir du tout tourisme industriel.
Small is beautiful ? «
Philippe Bourdeau dans la revue Vanoise de décembre 2011.