Interview de « Bunny » par Mapie Courtois dans le N° 222 d’ Alpinisme et Randonnée , juin 2000.
Nous vous présentons le portrait qu’elle avait tiré de Bunny (Rainier Munsch).
Bunny, l’incroyable grimpeur, le grand frère en même temps que le porte-parole de toute une génération d’alpinistes, le citoyen aussi, la grande gueule et un des membres fondateurs de notre association.
Attention, le propos décape toujours autant… Pardon, on devrait dire que heureusement le propos décape toujours autant. La mode n’a pas rogné l’objet, ni ne l’a pas précipité aux oubliettes. Le texte est toujours d’actualité et va droit au but sans circonvolution droit et puissant comme une directissime. Le sens des mots et la construction de la pensée nous rappelle qu’il est bon de relire régulièrement ce genre de textes. Ils éclairent d’une lumière renouvelée une actualité un peu blafarde. Si parfois, nous nous demandons pourquoi on grimpe, alors les paroles de Bunny pouvaient apporter un début de réponse. Depuis le 31 juillet 2006, il faut se débrouiller seul.
<< BUNNY, citoyen alpiniste >>
Alpinisme et Randonnée N° 222 juin 2000 ; page 24 à 29 par Mapie COURTOIS.
« Connu et reconnu dans le milieu, pour son intégrité et sous le surnom de Bunny, méconnu du grand public, Rainier Munsch, guide et alpiniste pyrénéen, va au-delà des idées reçues. Bilan sans complaisance de la modernité. »
« J’espérais le rencontrer à Autran, lors de l’Assemblée générale du Syndicat des Guides : « Bunny ? Non, on ne l’a pas entendu, donc il n’est pas là ! » Telle fut la première chose que j’appris : Bunny est de ces gens pour qui dire ce que d’autres n’osent pas penser est un réflexe, voire une nécessité. Il aime la montagne pour la montagne, et depuis toujours : « Gamin, j’ai rêvé d’être pompier ou président, mais dès qu’il a fallu trouver une idée d’avenir plus réaliste, j’ai eu envie d’être guide. J’ai toujours été attiré par la montagne, on m’a trop promené en poussette sur le boulevard des Pyrénées ! » Adolescent, il commence à grimper autour de Pau, puis à sécher les cours du lycée pour grimper, se casse une dent, ne se donne pas la peine de la faire réparer, ce qui lui vaut de la part du fils de Robert Ollivier le surnom de Bunny qu’il gardera. « Mon prénom, Rainier, ne me correspond pas ; la seule référence, c’est le Prince de Monaco, un lieu à bombarder en priorité ! »
Mais Bunny n’a rien d’un terroriste ; son regard sur la société s’arme, de préférence, d’un humour et d’un recul qui font du dégât. En 1978, il passe le diplôme d’aspirant-guide avec Jean-Claude Droyer : « Il était provocateur et il avait un temps d’avance ; je crois qu’il faut des gens comme ça pour faire bouger les choses. »
Des Pyrénées en Jordanie en passant par le Yosemite, l’Espagne, et bien sûr les Alpes, voilà trente ans qu’il parcourt la verticale inlassablement, en professionnel comme en amateur, au point qu’aujourd’hui il déclare : « J’ai passé tellement d’heures en paroi que j’y suis un peu comme à la maison. » Ses clients ? « Ils ne sont pas zappeurs, ils sont passionnés et vont souvent en montagne en autonomie, depuis longtemps. Ils comprennent la prise de risques et même la recherchent un peu en étant montagnards. Plus que des clients, ce sont des… » Amis ? Non, le piège du sentimentalisme confortable
Bunny l’évite aussi. Il a toujours le mot juste : « Ce sont des compagnons de cordée. » Une idée affûtée des répercussions possibles de l’évolution de notre société sur le milieu, le sens et l’avenir de l’alpinisme, une interview scandée de « Je crois qu’il faut le dire haut et fort ! »Mapie : Tu as qualifié « Piolets d’Or » et « Cristal FFME » d’évènements à mi-chemin entre le Top 50 et le Championnat du monde des lanceurs de nains, pourquoi un jugement si mordant ?
Bunny : L’alpinisme n’est pas une activité que l’on peut juger dans l’instant. Chaque acteur ajoute une pièce au puzzle de son histoire. Seul le recul permet d’y voir clair et souligne les actions clés. A l’époque où l’on commençait à spiter les dalles du Verdon, en face sud de la Marmolada dans les Dolomites, les Tchèques ont ouvert la voie du Poisson, qui reste une référence ; Igor Koller avait un temps d’avance dans sa conception de l’ouverture. Lui mériterait un Piolet d’Or, vingt ans après ! Mais juger des réalisations à chaud me semble très aléatoire. L’échelle de valeur est vague, donc la sélection peut vite reposer sur des questions d’intérêt, de connivence, sur l’air du temps. Quant à l’éthique, c’est une qualité à géométrie variable. Certains empereurs de la corde fixe se transforment miraculeusement en chantres de l’expédition légère.Mapie : Pourtant, beaucoup d’alpinistes jouent le jeu…
Bunny : Ces trophées favorisent le sponsoring, ce sont des sirènes attrayantes. Les alpinistes voudraient être des purs et durs, mais dérapent dans un besoin de reconnaissance officielle… c’est un mal contagieux, bien français ! On est encore dans le syndrome du Manifeste des 19, lors de la mise en place des compétitions d’escalade. La première réaction a été : Non, la compétition, c’est impur, nous, on est zen, on grimpe pour manger des Grany et boire des verres d’eau. On a rabâché aux grimpeurs : T’es vachement fort, tu vas gagner, et dans quatre ans, sport olympique ! Rapidement, sauf deux ou trois fortes têtes, tout le troupeau dit oui. Je ne crois pas qu’on fasse les choses uniquement pour soi, avoir besoin de reconnaissance me paraît logique et normal. Mais quand quelqu’un qui cultive le genre zen vient serrer la main à un coupeur de ruban sur un podium, c’est à la fois drôle et inquiétant. Il y a distorsion entre un discours pseudo marginal branché et le retour dans la société sous ses pires aspects. Le mal à l’aise de certains cristallisés est peut-être lié à ces ambiguïtés. Et ils savent que, même si leur réalisation est très valable, des dizaines d’autres le sont autant. Avoir mauvaise conscience est le signe qu’on n’est pas totalement mauvais ! Mais si les enjeux économiques étaient importants, on sombrerait rapidement dans la décadence.Mapie : Recevoir des honneurs et pratiquer un alpinisme pur serait donc réellement incompatible ?
Bunny : Je répondrais en évoquant l’histoire de Werner Herzog dans son film Le Cri de la Roche. Trois alpinistes tentent la première du Cerro Torre en Patagonie : le fils de la nomenklatura, un Messner officiel, reconnu par le milieu alpin bien-pensant ; le second, joué par Stefan Glowacz, représente le côté fun, la new wave, techniquement très fort, mais pas encore reconnu par les instances officielles ; le troisième est un fou mal sapé, sans moyens, qui sort de nulle part, avec un piolet en bois, mène une vie d’ermite et fait sa sauce dans son coin. C’est lui qui l’emportera et l’histoire sonne juste. Ce clodo d’altitude incarne l’alpinisme officieux, dont l’efficacité est souvent novatrice. Il est comparable à certains alpinistes de l’Est issus de milieux marginaux, ou aux roqueras ibériques anonymes, qui ont ouvert des lignes de rêve sans tambour ni trompette. L’alpinisme de haut niveau part d’une idée décalée ; je pense que pour réussir en alpinisme, il faut n’avoir peur de rien et ne respecter personne, il faut dépasser les idées reçues. En France, on élève des statues rapidement et pour longtemps. Certaines vivent sur l’aura d’un moment qu’ils peuvent gérer un demi siècle : regarde Maurice Herzog ! J’aimerais répéter les grandes voies qu’il a ouvertes, mais je n’ai pas les topos (rires} ! Ce qui est grave, c’est que ce sont les avis autorisés permanents de la montagne. Gérer sa gloire en écrasant un peu les autres pour durer est pervers à la longue : l’alpinisme n’a pas inventé ce système, mais peut parfaitement s’y adapter. Les honneurs, pourquoi pas… à la maison de retraite ou les jours de pluie quand la télé est en panne.Mapie : Pourquoi les alpinistes pyrénéens semblent-ils moins en quête de reconnaissance officielle ?
Bunny : Le jeu est différent, ici, on est moins tenté. L’alpinisme français tourne autour de Chamonix et de ses succursales : Paris et Grenoble. Loin de ces sphères, on passe à côté d’une certaine médiatisation. Pour être connu, mieux vaut faire du 7a au Grand Capucin que du 8b au pic de Gar. Quand on a ouvert les premières cascades gelées, avec une voie comme Overdose à Gavarnie, on avait beaucoup d’avance, par l’engagement et l’exposition. Si ces choses avaient eu lieu dans les Alpes, la résonance en aurait été différente. On est peut-être modeste par hasard, par handicap géographique et par habitude. On passe inaperçus… donc on est bien entendu, plus purs (rires] ! Ici, nous sommes nombreux à penser que les vrais héros sont les gens qui vont à l’usine tous les jours pour bosser à la chaîne. C’est bien pire qu’une longueur d’A5, et ça dure encore plus longtemps !Mapie : Ces récompenses, « Piolets d’Or » et « Cristal », sont décernées par vos Fédérations, CAF et FFME…
Bunny : C’est important que des structures fédératives représentent l’ensemble des pratiquants de la montagne, toutes activités confondues. Mais ce système bicéphale se jalouse, se concurrence, se copie. Au-dessus de la tête de l’adhérent de base, il s’agit de bagarres d ‘aparatchiks. Certaines mènent carrière, passant d’une fédération à l’autre avec un égal bonheur. Commissions, comités, formation, tout fait double emploi. C’est net sur l’écran de l’ordinateur, mais en réalité, c’est la jungle ! Louis Volle a écrit un article très pertinent à ce propos dans Montagne Magazine. J’ai peur que la facilité pousse les cadres dirigeants à devenir les avocats d’une règlementation plutôt que d’une responsabilisation de l’individu. Le sketch du casque en falaise n’est que la partie visible de l’iceberg. D’autres surprises nous guettent. Confortés dans une notion de pouvoir, certains vivent la dynamique montagne uniquement par procuration. Il existe des responsables de commission qui ne pratiquent plus depuis dix ans l’activité qu’ils représentent. La critique est facile, et c’est dommage pour ceux qui se bougent au sein de ces fédérations et réalisent des choses bien. On n’est pas obligé de faire de l’A5 pour parler montagne. Mais il faudrait davantage écouter la base et s’occuper des dangers qui nous guettent au lieu d’opter systématiquement pour une mise en valeur du milieu sportif à la traditionnelle. On sacrifie l’essentiel à l’accessoireMapie : Qu’est-ce l’essentiel aujourd’hui, selon toi ?
Bunny : Se poser la question Que pourrons-nous faire en montagne demain ? Notre liberté fondamentale est une liberté de mouvement, celle d’aller et venir dans tous les lieux, y compris les plus escarpés. La montagne doit rester une terre inconnue pour celui qui a envie de s’y perdre. Dénouer le fil d’Ariane d’une voie, en déjouer les pièges sont des plaisirs. L’un des gros dangers serait d’interdire aux humains de vivre des situations périlleuses et engagées et il faut avoir une vision très militante pour défendre ce droit paradoxal. Il en va de l’avenir de nos enfants. Ce n’est pas pour nous personnellement… il faudrait courir vite pour me rattraper (rires) ! Mais je crois qu’on peut éduquer les gens pour éviter de les transformer en clients de parc d’attractions. Si on tombe dans un plan de protection à l’américaine, que nous restera-t-il ? Le sentier ultra balisé, les barbelés, les miradors, les écriteaux. Ne sortez pas des zones sécurisées ? Les marchands d’aventure vont se régaler et ce sera la fin de l’alpinisme, une fin moins romanesque que celle évoquée par Yves Ballu à propos de la trilogie de Profit.Mapie : Sans tomber dans l’interdiction, est-il absurde d’essayer de limiter les risques en montagne ?
Bunny : Non, diront les bien-pensants, mais la réponse est complexe. Limiter le risque en montagne, c’est se former, s’entraîner, acquérir de l’expérience, mais les audacieux auront toujours envie d’aller plus loin, et les risques objectifs et subjectifs perdurent. Il y a une incompréhension dramatique par rapport au sens même de l’alpinisme : l’alpinisme est un choix de vie, pas une obligation. On peut aussi faire le tour de Chamonix en achetant des cartes postales, c’est simple et sans danger ! Je crois qu’aller en montagne c’est, d’une manière consciente ou inconsciente, dire : J’arrête d’être en sécurité, je veux être en insécurité, et je veux être maître de mon propre destin. Une paroi est une prison où tu entres volontairement en faisant le pari de trouver la clé pour t’évader, grâce à ta capacité d’adaptation, ta technique, tes moyens physiques. La seule issue honorable, c’est de gérer toi-même les ennuis dans lesquels tu t’es mis. Le risque est plus qu’inhérent à l’activité, il en est la valeur sûre : les cotations de difficulté et la reconnaissance du milieu sont basées en partie sur la prise de risques. Tomaz Humar au Dhaulagiri a réussi la quadrature du cercle en cumulant les risques d’une face très exposée, difficile, en haute altitude, tout seul, dans un rocher apparemment détestable. Certains ont besoin de ce combat pacifique. Les seules découvertes qui restent à faire sont de l’ordre de la techno-industrie de pointe. Qu’il n’y ait plus de terres inconnues est frustrant et castrateur. La plupart des gens n’en ont pas besoin, c’est vrai… comme la plupart des gens n’ont pas découvert les Amériques. L’alpinisme correspond au besoin d’une minorité, qui, si elle n’avait pas cet os à ronger, ne serait pas en position d’équilibre dans la société.Mapie : Quelle solution offrir à ceux qui ont envie d’aller en montagne sans s’appeler Tomaz Humar ?
Bunny : Je ne m’appelle pas Tomaz Humar et je ne compte pas répéter ses itinéraires, donc je peux te répondre ! Tout simplement, chercher en montagne ce qu’on a envie d’y trouver. Les capacités et la motivation dictent les choix. Il est important de se rapprocher de ses rêves. Chaque accident de montagne est un drame humain et lorsqu’il est fatal, je ne minimise pas la douleur des proches, loin de là. Mais personne n’empêchera les avalanches de glisser ou les tubes de glace de tomber, ni les guides, ni les juristes. Certaines situations sont trop complexes ; il faut admettre que l’on ne peut pas tout prévoir. Je crois qu’il y a une triple hypocrisie dans la perception de la montagne, de la part de la société qui juge, de ceux qui la vendent, et de ceux qui l’achètent. Notre société moderne accepte le risque en voiture, celui l’alcool et de la cigarette. Plus encore, elle est en train de créer, par le mode de vie économique et social qu’elle nous impose, un déséquilibre profond, familial. Combien de gens dépriment ou se flinguent parce qu’ils perdent un boulot ou sont obligés de sacrifier toute vie privée pour le garder ? Je suis sûr que la pression sociale est beaucoup plus meurtrière que les séracs de la Poire, et l’alpinisme fait beaucoup plus de bien que de mal à ceux qui le pratiquent. Si tu regardes le business de l’extrême, on te vend la panoplie Goretex, le piolet biscornu, mais on nie la chute de glace. On te vend la poudreuse parce que quand tu passes, ça fait des panaches derrière toi et c’est esthétique. Mais la pente est-elle sûre ? Le risque, masqué par le rêve, se vend bien. A skis, pour vendre la sécurité, il faudrait des photos de pistes clôturées et une queue à un télésiège. Si le hors-piste devient hors-la-loi, on pourra attaquer les stations pour publicité mensongère ! Il est légitime que le skieur de piste, consommateur de loisirs sécurisés et usager de parc d’attraction, ne soit pas mis en danger par les adeptes de neige non damée. Mais dès l’instant où le skieur hors piste ne porte pas atteinte à la sécurité du skieur de piste, pourquoi l’empêcher de sortir des pistes ? Beaucoup de pratiquants veulent ressembler à des montagnards sans faire la démarche psychologique de se mettre dans ce danger.Mapie : Penses-tu que les téléphones portables améliorent la sécurité ?
Bunny : Ils permettent de déclencher les secours rapidement mais n’ont pas l’efficacité d’un réseau radio. Cela dit, dans les Pyrénées, nous n’avons pas de réseau radio, notre massif étant situé juste au nord de l’Afrique. Mais pour des questions d’éthique, il faudrait reconnaître au citoyen alpiniste le droit à l’autonomie complète. Emporter un portable ou une radio devrait être un choix idéologique à faire avec ses compagnons de cordée.Mapie : Que répondre à ceux qui disent que les secouristes prennent des risques et que les secours coutent chers ?
Bunny : La question me touche ; je voudrais d’abord avoir une pensée pour le compagnon de cordée avec qui j’ai réalisé la Grande Cascade à Gavarnie, qui a été victime d un accident en effectuant un secours en Oisans, et pour deux autres camarades qui ont eu très peur à Gavarnie il y a deux ans. Mais au-delà des drames qui nous blessent, il y a une explication à donner au grand public pour sortir de cette désinformation systématique qui oppose les vilains secourus aux braves secouristes. Pour devenir professionnel en alpinisme, il y a trois solutions : être guide, faire des pieds et des mains chez les sponsors pour un statut un peu bâtard de conseiller technique, ou choisir la filière fonctionnarisée du secours, qui permet de vivre de bons moments d’alpinisme entre les heures noires. La plupart des secouristes sont des guides de grande compétence, ouvrent des voies, sont actifs en alpinisme. Si mes amis secouristes étaient nommés à Sarcelles pour faire la circulation ou de l’îlotage, ils partiraient en courant ! La société devrait les entretenir ailleurs et sans doute d’une manière plus artificielle. Il s’agit d’un métier qui est choisi en connaissance de cause et répond à une vocation. Je crois que notre société doit faire œuvre de solidarité. Ni le football, ni le basket, ni les jeux olympiques, ne m’intéressent. Ces activités ont un coût qui est répercuté quelque part et auquel je participe. Je subventionne des footballeurs, pourquoi eux ne subventionneraient-ils pas un centre de secours en montagne ? C’est la diversité et la richesse de notre société qui sont en cause, il faut que tout le monde ait une vie qui corresponde un peu à ses aspirations. Quant à certaines réactions de maires concernant les frais de secours, peut-être faudrait-il rappeler à ces hommes politiques que leur vallée vit aussi par ces activités. La montagne génère une vie économique évidente et crée des emplois. Si l’alpinisme et la randonnée n’existaient pas, dans beaucoup de villages de fond de vallée, les corbeaux voleraient sur le dos pour ne pas voir la misère !Mapie : Et que penses-tu des restrictions motivées par le souci de préserver l’environnement ?
Bunny : Il y a des précautions à prendre en termes de protection écologique. Je ne veux pas défendre les remontées mécaniques à outrance ou les aménagements lourds. Ce qui m’inquiète, c’est qu’on a une vision de plus en plus citadine de la nature. Tout est fragile, tout doit être protégé, conservé en l’état. A écouter certains, on finirait dans un jardin botanique ou dans une sorte de musée pour naturalistes ! On sent une peur de marcher sur la pelouse qui tourne à la paranoïa, un déséquilibre où l’homme apparaît comme un intrus dans la nature. Certains y vont si peu qu’ils n’ont plus le ton juste. Il faudrait être d’une vigilance de fer envers les lobbies industriels, agroalimentaires, les pollueurs, les vrais, qui ont un impact réel sur l’environnement. Les prises de décision coercitives en montagne sont d’excellents alibis pour dire On protège la nature, mais elles éloignent l’homme de la nature. A terme, on peut l’empêcher de parcourir des lieux sauvages, pour l’enfermer dans des « Visitors Centers. » Il y a dans nos activités une sélection naturelle à la fréquentation : plus les montagnes sont éloignées, difficiles d’accès, exposées, dures, moins il y a de monde. A part sur l’Everest, où c’est la tempête qui fait parfois le ménage ! Les remontées mécaniques déversent beaucoup plus de monde en altitude, mais ce n’est pas pour cette raison que la face ouest des Drus s’effondre. Les lieux reculés, qui n’ont aucune valeur économique, ne subissent aucune pression. Combien de personnes par an parcourent les crêtes du Cestrède et du Chanchou ? Ce ne sont des lieux de passage et de rêve que pour quelques individus. Je crois que l’homme, qui est très attiré par les paysages sauvages, fait partie de cette nature, exactement au même titre que les roches, les animaux ou la flore que l’on tient tant à protéger, parce qu’il est habitant de cette planète.