« Que fait l’Etat contre la fermeture des MJC ? Rien. Il regarde sans lever le petit doigt »

Publié par Pierre MACIA le

D’une ville à l’autre, les arguments des maires sont les mêmes : ils doivent faire des économies, ils reprochent aux MJC une piètre gestion et un mauvais rapport qualité-prix, veulent récupérer en interne les activités proposées. A se demander comment les MJC s’y prennent pour être aussi nulles. A moins qu’il n’y ait d’autres raisons, qu’on résumera d’une formule : pour tuer son chien, on dit qu’il a la rage.

Une vidéo de Nicole Ferroni

Que fait l’Etat ? Rien. Il regarde sans lever le petit doigt – les MJC sont passées de 3 000 dans les années 1970 à 1 300 aujourd’hui. A tel point que l’excellente humoriste Nicole Ferroni, qui a fait ses premières armes à la MJC d’Aubagne, a posté fin mars une vidéo sur Internet, interpellant en ces termes Audrey Azoulay : « Bonjour, madame la Ministre de la culture. (…) Je me présente, je m’appelle Nicole Ferroni et j’ai un service un peu urgent à vous demander. Je suis marraine de la MJC d’Aubagne et comme elle est en danger, il est organisé ce matin un rassemblement, ce samedi 1er avril devant la MJC d’Aubagne à 10 heures. Sauf que je suis à Cahors (…), donc je voulais savoir si vous pouviez y aller à ma place (…) et si vous pouviez profiter de votre venue pour venir aussi avec l’équivalent des subventions perdues (…), à savoir environ 150 000 euros. »

Quand une ville menace un beau théâtre, croyez bien que l’Etat intervient. Mais une MJC, c’est petit, c’est pour les gens modestes, ce n’est pas de la vraie culture – voilà ce qu’on entend.

Nicole Ferroni a une voix qui compte, donc une conseillère de la ministre l’a appelée pour lui dire que « l’Etat ne pouvait se substituer aux collectivités locales ». Jolie façon de se défausser. Quand une ville menace un beau théâtre, croyez bien que l’Etat intervient. Mais une MJC, c’est petit, c’est pour les gens modestes, ce n’est pas de la vraie culture – voilà ce qu’on entend.

Tous les candidats à la présidentielle, primaires comprises, ont écrit de belles phrases dans leurs programmes pour dire qu’il faut réduire la fracture culturelle entre riches et pauvres, grandes villes et villages. Entre ceux qui ont accès à la culture et ceux qui en sont exclus. Mais personne n’a prononcé le mot MJC comme remède. « Oui, on ferme les MJC. Qui est au courant, qui en parle dans la campagne électorale ? », écrit Max Leguem, directeur de la MJC de Limours (Essonne), dans L’Humanité du 24 avril.

L’indifférence vient du fait que les villes et l’Etat ont le même logiciel culturel. Ce modèle a été défini par le ministère de culture, il y a soixante ans, à l’époque d’André Malraux, avant que les collectivités locales ne l’adoptent à leur tour : créer des équipements prestigieux (théâtres, musées, salles de musique, festivals), pilotés par des experts, dans les villes moyennes et grandes. Chacun son rôle : l’expert concocte un programme qui vise l’excellence ; la population devient un public de spectateurs, qui juge les œuvres. Un vrai monolithe, cohérent, efficace et qui a porté ses fruits partout en France.

Un processus de « faire ensemble »

Les MJC ont développé un autre modèle, où le public est autant acteur que spectateur. On sort du système binaire experts/public pour un autre, où chacun peut s’exprimer de multiples façons – être bénévole, professionnel, adhérent, animateur, débatteur, créateur, spectateur. Le résultat d’un projet est aussi important que le processus de fabrication. Ce processus vise à « faire ensemble », donc à créer des solidarités et à former des citoyens.

C’est Max Leguem qui se souvient qu’à 15 ans, amoureux de rock, il s’est retrouvé dans une MJC « à organiser des concerts, sélectionner des groupes, gérer un budget, servir au bar, ranger, négocier avec un conseil d’administration… » C’est Hugo, 24 ans, aujourd’hui danseur, qui raconte sur le site de L’Obs en février, qu’il a fréquenté à 13 ans la MJC de Sens : « D’autres y prenaient des cours de sculpture, de peinture, de soutien scolaire, jouaient dans un groupe de musique… J’y ai organisé des projets et des spectacles avec des jeunes qui sont devenus des amis proches. »

Ce modèle n’intéresse pas le ministère de la culture. Qui y voit même un ennemi. Car, s’il y a une chose que l’Etat culturel n’aime pas, même quand il dit défendre les droits culturels de chacun, c’est que l’on titille son expertise. Pourtant la question n’est pas tant de contester son modèle que d’en faire vivre un autre qui le complète. Un modèle qui touche des millions de personnes, souvent défavorisées, et qui, quand il est supprimé, est loin d’être remplacé.

C’est donc l’éducation populaire qui trinque un peu plus, ce qui est quand même effarant quand tout le monde se demande comment recoudre le territoire. Les MJC comptent sur la dynamique Macron, dont l’ouverture à la société civile résonne avec leur combat, pour qu’elles ne se retrouvent plus tributaires du seul bon – ou mauvais – vouloir des maires. Elles attendent aussi un peu d’argent. Si on dit que c’est une priorité…

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