L’apprenti montagnard de Gaston Rebuffat

Publié par Pierre MACIA le

Tu auras aussi la réalité ; d’une part, grâce aux écoles d’escalade où tu iras te perfectionner (apprends à bien grimper en escalade libre, là est la joie) ; d’autre part, sous la forme de l’expérience vécue pendant l’été passé et dont tu te souviens particulièrement : une fatigue due à l’altitude, un itinéraire où tu t’es trompé, une arête où tu t’es perdu, une rimaye ou une crevasse difficiles ou impossibles à franchir, le mauvais temps survenu d’un coup…

Tu es riche, car tu as des souvenirs, mais surtout parce que tu as en toi un grand désir : il y a tant de courses à faire et, au-delà des Alpes, bien d’autres sommets. Les écoles d’escalade se trouvent assez souvent dans de petits massifs calcaires; là, tu t’habitueras aux lignes verticales, aux relais étroits, aux prises petites, dissimulées.

Ta technique sera basée sur la souplesse, non sur la force pure ; par la suite, en montagne, tu te fatigueras moins et tu éprouveras plus de plaisir. Bien grimper, le sentir au fond de soi-même, est une source de joie.

La pratique du ski ne peut te faire que du bien. Savoir ce qu’est la neige, acquérir une proximité. Ne crois pas, parce que tu es alpiniste, que tu doives dédaigner le ski de piste. C’est en faisant de très nombreuses descentes, grâce à un téléphérique, que tu apprendras à devenir un bon skieur ; alors le printemps venu, tu pourras partir vers les Trois Cols, le Mont Mallet, la Haute-Route, le Mont Blanc à skis.

Puis viendra le début d’un nouvel été… » A travers toutes ces ascensions, je vous ai tous retrouvés mes compagnons de la belle aventure.Ensemble nous avons peiné sur les moraines, grelotté pendant les bivouacs ; le soleil nous a réchauffés puis brûlés ; le vent, caressés puis cisaillés. Nous nous sommes écorchés contre le granit et nos genoux se sont « cassés » dans la descente des pierriers. Des rappels sur les cordes mouillées, ont été durs à descendre puis à récupérer ; parfois les cordes se sont coincées. La foudre, sa soudaineté, son bruit, son odeur, nous ont atteints, secoués. Ensemble, nous avons connu et partagé l’appréhension, l’incertitude, la peur ; mais aussi, c’est là-haut que nous avons découvert au fond de nous-mêmes, tant de vie, d’ardeur, de force.

Tout ce qui peut procurer une allégresse solide, établie, secrète, était en nous et nous ne le savions pas. Et puis, il y a l’amitié. Aux Clocher-Clochetons comme au Pic de Roc, à la Sans Nom comme à Peuterey, je vous ai retrouvés, solides compagnons. Ici, Jean m’a fait une courte échelle ; là, Lionel partageait un citron ; sur l’arête, Edouard tire le rappel ; ailleurs, Henri m’a appris à tailler…

Henri, surtout, pour beaucoup tu n’es rien ; pour moi tu es le « grand frère de la montagne ». Je souhaite que tous les alpinistes aient aussi ce grand frère que l’on regarde toujours avec amour et respect, celui qui surveille la façon dont on s’encorde et qui, tout en initiant à une vie dure, a des soins presque maternels.

Celui qui fait partager sa souveraineté de quelques instants, à 4 000, et qui vous présente aux sommets environnants comme un jardinier à ses fleurs. Celui que l’on regarde avec envie, car le refuge est sa maison et la montagne son domaine. Et l’on n’achète pas l’amitié d’un être si riche.

L’Apprenti montagnard, les cinquante plus belles courses du massif du Mont Blanc par Gaston Rebuffat (Editions Grand Vent, 1946.)